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vacarme / le train (extraits) /1   accueil à propos vous abonner commander librairies index accueil » index » vacarme 28 » cahier » le train (extraits) /1 vacarme 28 / cahier récit le train (extraits) /1 par emmanuelle gallienne les vents soufflaient du strymon, portant avec eux les retards funestes, la famine, les mouillages périlleux, la dispersion des équipages, l’usure des coques et des câbles, et, par des délais toujours renouvelés, déchiraient dans l’attente la fleur des argiens. la lumière nous montra qu’il était midi. je songeai à un début d’automne, quelques feuillages jaunissaient à peine. quelqu’un d’abord crut avoir distingué des tuiles, rouges entre les branches. « ce sont des feuilles ! » avait répondu une voix agacée (cette contrée infiniment sauvage commence à faire naître chez certains d’entre nous un secret désespoir, nous n’avions vu que forêts et terres incultes). plus loin on entendit crier : « un toit ! ». rouges entre les branches, c’étaient bien des tuiles, trop vite disparues, puis sous un nouveau toit vermillon clair tout le monde cette fois vit les murs blancs lointains d’une demeure enfouie sous une futaie. une excitation joyeuse rompit nos longues heures de contemplation. ce fut un jeu de désigner les maisons, disséminées ça et là de chaque côté de nos rails, éloignées les unes des autres et de nous, la vitesse les dérobant avant que l’on n’aie saisi autre chose que le toit rouge, les murs clairs, trois étages peut-être de hauteur, parfois l’enceinte d’un jardin. « on arrive certainement dans les faubourgs d’une ville », dit quelqu’un. mais les habitations demeuraient clairsemées, il n’y avait même pas de champs, non, une maison isolée soudain plantée sur un terrain sauvage, personne sur le pas de la porte. même les jardins peut-être les avions-nous rêvés. il me sembla que le flanc des coteaux devenait plus abrupt, des failles plongeaient dans l’ombre, de l’autre côté la forêt fut plus profonde encore, le soleil vertical laissait les sous-bois dans une pénombre verte. est-ce l’heure de midi (propice aux apparitions) qui le voulut, certains commençaient à voir du monde, rapides silhouettes de connaissances anciennes, un cousin oublié posté sur le bas-côté des voies, debout sur le seuil de sa maison, accoudé à la fenêtre, juché sur le toit qu’il réparait, assis sur un muret, perché dans l’arbre de la cour. certains ne voyaient personne. on s’accusa, on se pinça. les voyants pourtant n’en démordaient pas. « il y a si longtemps qu’on ne s’est vu ! mais je le reconnais très bien, voyez, je suis sûr qu’il allait à la pêche, il y passait des heures, ma tante lui criait dessus, elle disait que c’était un bon à rien. ils avaient un petit commerce en ville. » quelques-uns apercevant fils ou filles étaient comme fous. « à cette vitesse ce n’est pas possible vous avez dû vous tromper » disait-on pour les calmer, comme si les enfants, mais en vertu de quoi ? eussent été moins reconnaissables. n’était-ce pas le plus étrange, les mêmes personnes réapparaissaient plusieurs fois de suite, comme si nous repassions indéfiniment devant le même paysage, la même scène. comment s’y reconnaître, il n’y avait pas de repères, ni bordures ni limites dans cette inépuisable végétation, pas de champs, ni routes ni clôtures, seules des maisons perchées n’importe où. des arbres à perte de vue, des montagnes se rapprochant. soudain je sursautai j’avais vu une biche. un col fauve gracieux, l’arc d’un saut, pattes repliées sous le ventre, légère elle avait glissé entre les arbres. il n’y avait pas d’animaux jusqu’alors dans la forêt, pensai-je, surprise de n’y avoir pas songé plus tôt. les troncs déroulaient leur trame, l’animal réapparut, furtif, si loin déjà ce devait être sa sœur. par mes fenêtres la forêt sans fin répétait ses taillis, ses futaies, les biches une à une bondissantes s’évanouissaient dans l’ombre humide, toutes fuyant dans la même direction, à l’inverse de notre course. vers quelle catastrophe étions-nous en train de nous précipiter, quelle meute sanguinaire, quel incendie que les bêtes affolées se dépêchaient de laisser derrière elles ? à présent seuls les enfants demeuraient muets. ils se balançaient comme des tiges, cognant les vitres de leur front. personne ne s’émut des biches. les parents, les amis continuaient à se démultiplier dans le paysage. je ne dis rien. il y eut soudain des animaux que je vis tomber, biche toujours, brisée net dans un bond, la gorge renversée comme si une main invisible l’avait saisie, le col rompu. nous allions beaucoup trop vite pour que je puisse voir l’événement s’accomplir, la fin m’était dérobée. le paysage devient le théâtre de faits inouïs ! je m’inquiétais, mon front butait contre la vitre. était-ce un archer encore invisible qui de sa main décochait à mon troupeau léger des flèches si rapides que je n’en saisissais pas le trait, ni l’impact, ni même au fond la mortelle mission ? mes biches mouraient-elles ? est-ce que je les voyais tomber, ou ne faisais-je qu’interpréter leur soudaine disparition, leur effacement sans condition du paysage ? tout cela se passait trop vite, à la vitesse trop grande du train je ne pouvais décider de ce que je voyais. certaines, c’était bien visible, continuaient leur galop effréné, le cou tendu en avant, les oreilles couchées et le museau en l’air, comme épouvantées. ce qui les faisait fuir ne figurait pas encore sur ma scène, même me tordant le cou, louchant, la joue collée à la paroi, je ne distinguais rien que des arbres se précipitant à la rencontre de mon œil. j’étais restée longtemps à faire le compte de mes animaux, car le soleil obliquait déjà, les ombres s’allongeaient. le couloir était baigné d’une lumière mélancolique. il m’apparut méconnaissable, étrange et mince corridor appuyé contre l’extérieur lumineux, beaucoup trop étroit pour nos corps et nos mouvements, et légèrement incliné comme si le train dans sa vitesse et peut-être dans une grande courbe penchait. toujours identique à l’habituelle lumière de nos lampes il était rectiligne, morne parfois, mais rassurant de n’être traversé que par nos allées et venues, qui seules lui donnaient sa mesure. à présent la lumière répandue rendait ses contours incertains, les chromes vibrants étincelaient, les parois lisses s’allumant démultipliaient paysages et rayons, des nuées glissaient à toute vitesse dans les glaces, des flaques brèves miroitaient sur le sol, des éclats frappaient l’œil lorsqu’on changeait de position ou qu’on tournait simplement la tête. le contre-jour ouvrait des ombres où les visages disparaissaient. on sentait bien qu’à la fête euphorique du matin avait succédé une joie triste et grave, comme si des adieux se préparaient. chacun me parut plongé dans des rêves. les enfants s’amusaient à glisser entre les rayons que filtraient encore les branches de la forêt. résolue à ne plus regarder les biches disparaître, je m’assis sur une banquette, dans le coin opposé à la fenêtre. plusieurs voyageurs, las sans doute du paysage, discutaient penchés les uns vers les autres. de temps à autre un rai de lumière tombant sur leur visage fermait leurs yeux. je les vis renoncer à leurs calculs (en vain depuis ces montagnes, cette forêt drue, avaient-ils essayé d’inventer une géographie), leurs supputations redevenaient chimériques. comme tout le monde ils se reprirent à rêver, c’était tout ce que nous offrait à profusion ce pays sans borne, songeries immenses et sauvages, spectacles sans frein, scènes droit jaillies de votre propre cœur et pourtant sous vos yeux suppliantes. je m’agitai sur ma banquette, que me voulait-on ? qu’attendaient de moi les biches mourantes, leurs doux yeux se perdant dans les miens lorsque la vie glissait de leurs membres ou qu’elles s’absentaient d’un clin d’œil de ce monde ? je sortis. *** certes il n’y avait ni jour ni nuit, et pourtant certains matins j’avais le sentiment de m’être éveillée « au petit jour », d’autres au contraire d’avoir dormi tard, et nous nous couchions à des heures plus ou moins avancées de ce que nous appelions la nuit. il n’y avait ni jour ni nuit du point de vue de la lumière, mais les soirées succédaient immuablement aux après-midi et aux matinées. subissant nos ténèbres nous les aménagions. étrangement personne ne prétendait que nous menions une vie nocturne. ceux qui prenaient les ténèbres dans lesquelles nous roulions pour une nuit perpétuelle n’avaient rien à dire là-dessus : ils dormaient, depuis si longtemps que personne ne se souvenait des propos qu’ils auraient tenu du temps de leur éveil. avaient-ils eux-mêmes fait le choix de ce sommeil, ou leur avait-on imposé, comme parfois dans les transports on met des dragées soporifiques dans la gueule des bêtes ? auraient-ils révélé de notre nuit de quoi troubler nos accommodements ? mais qui se posait sérieusement ces questions ? on ne les voyait jamais, ils demeuraient dans des wagons éloignés où personne sans doute ne s’était rendu, nul ne connaissait leur visage, quelques noms parfois circulaient, une rumeur les affiliait à des familles, mais celles-ci étaient bien les plus discrètes à leur égard. ce n’était que des suppositions, jamais je n’avais entendu quelqu’un affirmer qu’il y avait un passager dormant parmi ses parents. à vrai dire nous évitions de nous poser des questions à leur sujet, et dans cette retenue entrait plus de crainte révérencieuse que d’indifférence ou de peur. il s’agissait de les garder à une distance respectueuse, comme des morts et peut-être davantage. pour nous autres passagers ordinaires veille et sommeil alternaient grosso modo comme si les nuits succédaient aux jours. on tirait au coucher sur un divan qui devenait couchette, qu’on repliait au lever. souvent on faisait glisser les rideaux aux plis raides qui nous isolaient du couloir, mais ceux aussi des fenêtres extérieures. ces aménagements frustes étaient bien suffisants pour notre existence sans éclat, et parfois même nous nous en passions, dormant assis. faisant grand cas de mes rêves je souffrais souvent de ces incommodités, sans oser m’en plaindre. *** « pourquoi est-ce toujours des choses les plus humbles que je prends soin ? » réfléchissant, je pliais longuement un torchon, aplatissais les bords, étirais les quatre coins, caressais le tissu par endroits effiloché, je le posai ensuite sur la pile. une pile de torchons, une pile de serviettes. je travaillais parfois à la lingerie, on m’y laissait tranquille des après-midi entières dans l’odeur chaude du coton lavé. certaines pièces étaient tellement usées que leur trame devenait transparente comme une gaze. pour plier les draps trop grands, j’étais aidée par une fille qui ne disait jamais rien mais éclatait de rire à chacun de mes gestes maladroits, par exemple lorsqu’elle tirait brusquement sur le tissu et que mon coin du drap m’échappait des mains. son immuable gaîté me gagnait toujours, je la regardais partir le cœur léger une pile de drap calée contre la hanche. d’autres fois je faisais le ménage. l’intérieur des compartiments était fait à l’identique, selon les occupants toutefois l’aspect changeait. ils étaient absents lorsque nous venions y travailler, sauf parfois certaines vieilles personnes qui ne pouvaient ou ne désiraient plus sortir — ils restaient là assis et considéraient chacun de nos gestes avec leur attention vague. il fallait beaucoup de précautions pour ne pas les cogner en passant le balai. à genoux ramassant la poussière de sous une banquette je me tenais des discours entrecoupés, chaotiques, baignés d’une tristesse un peu folle dont seule je me souviens. l’odeur alcoolisée du produit pour les vitres envahissait mon esprit, mes pensées devenaient mélancoliques. je m’émouvais d’une résignation d’animal bâté. un petit âne de ma tendre enfance, un bœuf de labour me contemplaient dans les reflets irisés de la vitre que je faisais couiner avec mon torchon. *** il y avait bien longtemps que nous voyagions, personne parmi nous n’aurait su désigner un commencement à notre périple — beaucoup contesteraient ce terme, l’absence de toute géographie en effet semblait le démentir — personne je crois n’aurait su dire quand il était monté à bord de ce train, depuis quand nous roulions à cette vitesse et dans ces ténèbres lassantes. aussi malgré notre itinérance connaissions-nous l’attente. avions-nous jamais éprouvé l’attente d’un départ ? nul ne le savait plus désormais. connaissions-nous l’impatience de l’arrivée ? il eût fallu je crois qu’à un moment notre voyage s’infléchisse vers un terme, qu’un décompte des jours à l’envers s’impose parce qu’une destination approchant la distance ne cesse joyeusement de rétrécir. cela n’était jamais arrivé, et nous n’avions pas connu l’impatience. l’attente était un sentiment sourd, quotidien, banal, qui parfois oui nous déchirait, mais cela ne durait pas, s’épuisait vite, car au fond nous nous étions conformés à l’attente, nous l’avions épousée et elle était notre loi, sous laquelle nous nous autorisions à nous sentir unis. publié dans vacarme 28 été 2004 » consulter le sommaire » commander feuilleton de vacarme le train le train (extraits) /1emmanuelle gallienne le train (extraits) /2emmanuelle gallienne le train (extraits) / 4emmanuelle gallienne le train (extraits) /5emmanuelle gallienne actuellement en librairies » consulter le sommaire » s'abonner » commander » acheter en librairie à propos contact creative commons  
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